Petite genèse de « La cigogne de fer qui déposa mon frère »


Je reviens pour parler un peu, comme promis, de la genèse du livre. Cet album, qu´on surnomme déjà entre nous « La cigogne » ou « La cigogne de fer » pour faire plus court avec Lola, est le fruit d’ une série de coups de coeur. Le premier, lointain, non « conscient » initialement,  concerne évidemment l´arrivée de mon frère Yul l´hiver 1982 et est donc dédié également à mes parents qui sont à l´origine de cette belle aventure, mais aussi à mon frère aîné Yann qui l´a vécue avec moi. L´idée d´en faire un livre n´est pas quelque chose qui me trottait dans la tête spécialement d´ailleurs, puisque tel que je le décris dans l´album, toute cette expérience de fraternité « allait de soi », était parfaitement naturelle pour moi pendant très longtemps. Il a fallu sans doute plusieurs événements, certains anodins, d´autres plus importants, pour que je songe à la raconter et la transmettre aux enfants (grands, petits, ou très très grands, ceux qui ont encore des doutes…).
aperçu des premières ébauches du texte
aperçu des premières ébauches du texte
Parmi ces événements, je citerai la remarque d´une amie enfant unique qui me racontait que ses parents avaient songé à l´adoption quand elle était petite, lui en avaient parlé et avaient arrêté net toute démarche quand elle leur avait dit « Ah bon alors moi vous allez me remplacer? » (évidemment les choses devaient être beaucoup plus complexes et je ne pense pas qu´ils aient mis fin à leur envie d´adoption à cause de cette simple phrase enfantine mais ça en dit long sur ce que représente pour les parents de « préparer » le frère ou la soeur à une adoption).
esquisse aéroport Lola Roig
esquisse Lola Roig
Il y a eu aussi la remarque faussement naïve et un rien cruelle d´un proche de la famille, pré-ado, qui, « pour rire » et sans penser à mal certes, alors que nous évoquions un souvenir d´enfance, nous a dit  : « Ah ça, c´était avant que vos parents achètent Yul, non ? ». Autant dire que ce jour-ci j´ai sauté au plafond et j´ai eu du mal à en redescendre tout-de-suite…Cela m´a ramenée à plusieurs souvenirs au sortir de l´enfance, notamment un après-midi où des copains remettaient en cause la filiation biologique entre nous deux (les « grands ») et notre petit frère « Mais c´est pas vraiment votre frère… ». Notre dissemblance étant évidente, il n´y avait rien à dire sur nos origines distinctes mais le fait même de souligner cette différence m´avait semblé absurde, je me souviens assez précisément de ma sensation de ne pas comprendre leur intention. En fait, l´idée qu´ils puissent remettre en cause que l´on soit frères et sœur m´avait paru tout simplement inappropriée et choquante. Car ça ne nous avait jamais traversé l´esprit ! Notre frère, malgré ses yeux bridés, n´était jamais pour nous une « pièce rapportée » qui dénotait dans l´univers familial aux origines angevines et bretonnes, c´était notre frère à part entière !
esquisse 1 "madres" Lola Roig
esquisse Lola Roig
Il y a eu aussi, beaucoup plus tard, mon séjour d´un an en Chine et la visite de Yul là où je travaillais et la mine ahurie de mes collègues chinois quand je leur disais « je vous présente mon frère »…Il y a eu les voyages de mon frère dans son pays natal, la Corée, sa discrétion quant aux démarches qu´il entreprenait pour retrouver la trace de ses origines et un cadeau très symbolique qu´il avait fait à maman pour la fête des mères : le filmUne vie toute neuve d´Ounie Lecomte, enfant adoptive aussi, qui racontait son histoire. Il y a eu également le séjour de trois mois de mon père là-bas, sa rencontre notamment avec un autre enfant adoptif du pays et ce qu´il disait de la réaction de rejet des Coréens face à ces « enfants-là ». Il y a eu quelques confidences de Ma Yang, la copine chinoise que mon frère avait eue et avec qui j´avais habité en Chine, qui m´avait permis d´approcher en transversale (un biais tout oriental) une part de mon frère et m´avait fait réaliser ce que la pudeur nous fait taire. Et c´est peut-être cette même pudeur, le fait de ne jamais dévoiler nos sentiments et surtout de les exprimer ouvertement, qui m´a fait écrire « La cigogne… », pour dire en filigrane à ce frère venu d´ailleurs à quel point il m´était proche, et cher.
Il y a eu enfin et surtout le fait de vivre à travers mon corps la maternité et ce
esquisse 2 "madres" Lola Roig
esquisse 2 « madres » Lola Roig
chamboulement qui vous fait réfléchir aux origines, aux premières années de la vie, à l´inconscient, à notre filiation…et les expériences d´amis ou de proches qui adoptaient ou envisageaient de le faire. Les débats de société enfin sur la famille, les confidences ou les expériences d´ami(e)s homosexuel(le)s sur ces questions et sur les désirs de paternité ou maternité. La question toute bête finalement, « Qu´est-ce qu´une famille ? ».


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